La série de contributions qui composent le recueil Données, recettes et répertoire. La scène en ligne (1680-1793) prend pour objet un vaste projet en humanités numériques consacré aux Registres de la Comédie-Française (RCF). Ce programme de recherche international et collaboratif donne accès à une base d’images en haute définition reproduisant les comptes journaliers tenus par la Comédie-Française entre 1680 et 1793, assortie d’outils d’exploration et de visualisation destinés à faciliter l’analyse et l’exploitation de ces données culturelles. Aucun autre théâtre n’a, au XVIIIe siècle, consigné ses activités avec la même systématicité que la Comédie-Française, et rares sont les établissements commerciaux de l’époque à avoir produit des documents comptables aussi exhaustifs.
Ce collectif interdisciplinaire s’appuie sur ce corpus d’archives numérisées sans égal pour étudier les choix de programmation et la politique tarifaire mis en œuvre par les Comédiens-Français au siècle des Lumières et sous la Révolution. Si l’on sait communément que Molière, Racine, Corneille et Voltaire se trouvaient souvent à l’affiche au XVIIIe siècle, les registres révèlent que sur une période de 113 ans, avec plus de 33 000 soirées de représentation, le répertoire de la Comédie-Française comptabilise plus de mille pièces, écrites par plus de 300 dramaturges. Quel était l’impact des événements politiques, du contexte économique, des tensions sociales et des rivalités institutionnelles sur la constitution du répertoire de la troupe et sur son équilibre financier ? Le théâtre d’Ancien Régime constituait-il un lieu de discussion des questions socio-politiques, ou un espace de divertissement à l’écart des troubles du monde ? Certaines contributions de cet ouvrage s’attachent à identifier les tendances majeures qui caractérisent les revenus et les décisions de programmation de la Comédie-Française pendant plus d’un siècle, tandis que d’autres se concentrent spécifiquement sur le tournant des années 1760, quand l’influence de la pensée et des grandes figures des Lumières devient éminemment sensible sur la scène parisienne. Dans une perspective autre, un troisième ensemble d’articles se propose de sonder les apports des méthodes numériques pour l’étude de l’histoire du théâtre et pour les sciences humaines en général : les procédures d’enquête et les résultats des humanités numériques sont-ils radicalement inédits ? Sous quelles conditions ces nouvelles méthodologies conduisent-elles à reformuler les questionnements de la critique littéraire et de l’histoire culturelle ? Dans quelle mesure ces approches sont-elles aussi l’occasion d’approfondir notre compréhension sensorielle du passé ?
À l’instar des ressources du Projet RCF, le recueil Données, recettes et répertoire. La scène en ligne (1680-1793) est publié en ligne et en libre accès, sous l’égide des Presses du MIT et grâce au soutien généreux de la section Global Languages du MIT ; un financement du Partner University Fund de la FACE Foundation a par ailleurs rendu possibles les traductions anglaise et française de cette édition bilingue. L’interface offerte par la plateforme PubPub des Presses du MIT facilite une lecture traversière : les lecteurs-utilisateurs peuvent circuler des textes à la base de données pour mener leurs propres enquêtes et leurs propres analyses, et l’architecture du site leur donne la possibilité de laisser des commentaires à la fin de chaque article. Ainsi voit-on dans ce volume combien les usages de la publication numérique peuvent permettre d’amplifier les échanges au fondement des sciences humaines.